Projet minier au lithium : transition ou impasse écologique ?

par la Gauche Ecosocialiste 34

Projet minier au lithium : transition ou impasse écologique ?

L’Union européenne entend sécuriser l’ensemble de la chaîne de valeur des métaux dits critiques – de l’extraction au recyclage – et veut aller vite. Fin mars 2025, la Commission européenne a publié une liste de 47 projets prioritaires dans 13 États membres. Ceux-ci bénéficieront de procédures accélérées, c’est à dire sans possibilités pour les populations concernées de se saisir des projets en amont, pour les permis d’exploitation et les financements. Vingt-cinq projets d’extraction devraient être approuvés d’ici deux ans. Parmi eux : un projet de lithium en France.

Le 3 avril 2025 a été publié au Journal officiel une demande d’octroi de permis exclusif de recherches de mines de lithium, dit « permis de Lodève », déposé par la société Transition Elements AS pour une durée de cinq ans. Ce permis couvre le territoire de 23 communes de l’Hérault : Bédarieux, Carlencas-et-Levas, La Tour-sur-Orb, Pézènes-les-Mines, Cabrières, Celles, Clermont-l’Hérault, Lacoste, Liausson, Mourèze, Salasc, Valmascle, Le Bosc, Le Puech, Lodève, Olmet-et-Villecun, Saint-Jean-de-la-Blaquière, Brenas, Dio-et-Valquières, Lavalette, Lunas, Mérifons et Octon.

Lithium : entre promesse énergétique et réalité extractive

Le lithium est utilisé principalement pour les batteries (téléphones, vélos, voitures…). En fin de vie, ces batteries posent des problèmes croissants de recyclage et de sécurité. En dix ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont augmenté de 150 %, et 60 % de ces incendies surviennent dans des centres de tri (Le Monde diplomatique, février 20251). Avant de lancer de nouveaux projets d’extraction, il serait judicieux d’investir massivement dans la recherche sur le recyclage, le stockage stationnaire et la réduction des besoins.

Par ailleurs, l’extraction du lithium implique l’utilisation de produits chimiques comme l’acide sulfurique (pour les roches dures) ou la chaux vive (dans le traitement des saumures). Ces procédés sont aqueux et relativement maîtrisables techniquement, mais ils présentent un coût environnemental important, en particulier du fait de la consommation massive d’eau, surtout dans les régions déjà marquées par le stress hydrique.

Pression sur les milieux naturels

L’ouverture de mines de lithium représente une menace directe pour les écosystèmes méditerranéens, parmi les plus riches mais aussi les plus vulnérables d’Europe. Dans notre région, la végétation est adaptée à des conditions extrêmes – chaleur, sécheresse, sols pauvres – et repose sur des équilibres écologiques fragiles. L’installation d’un site minier implique le défrichement de vastes surfaces, la construction d’infrastructures lourdes (routes, plateformes, bassins) et l’artificialisation de zones entières : garrigues, forêts, pâturages secs, zones humides.

Cette destruction provoque une perte immédiate de biodiversité : disparition d’espèces végétales protégées, fragmentation des habitats pour les oiseaux, les reptiles, les insectes pollinisateurs… Certains sites se trouvent à proximité de zones Natura 2000, de corridors écologiques, voire de captages d’eau potable, augmentant les conflits d’usage.

Dans les milieux méditerranéens, les sols sont peu profonds et très sensibles à l’érosion. Détruire leur couverture végétale revient à accélérer les risques de ruissellement, d’inondation et de désertification. Et contrairement à d’autres régions du monde, ici, la reconstitution des milieux est extrêmement lente, voire irréversible à l’échelle humaine.

Une ressource en eau déjà en tension

La qualité de l’eau est un enjeu crucial : le lithium, très soluble, est difficile à éliminer une fois présent dans l’environnement. Des études montrent des effets toxiques sur la microfaune aquatique à partir de quelques milligrammes par litre. Mais c’est surtout la quantité d’eau mobilisée qui interroge : jusqu’à 500 000 litres d’eau par tonne de lithium produite.

Notre département connaît déjà des situations de pénurie estivale, avec des villages privés d’eau potable. Les projets d’extraction viendraient accentuer ces tensions dans des zones agricoles, forestières et rurales déjà fragiles. Des procédés permettant de recycler jusqu’à 90 % de l’eau existent, mais ils sont peu mis en œuvre car moins rentables, dans une logique de marché, logique naturel des type d’entreprise comme celle qui ont déposé ces demandes de permis.

Mémoire locale et enjeux démocratiques

Nous ne partons pas de zéro. Entre 1959 et 1997, la Cogema a exploité de l’uranium à proximité de Lodève, sur le site du Bosc. Plus de 25 ans après, la décontamination n’est toujours pas terminée, malgré les mobilisations des habitant·es. Et encore, il s’agissait d’une entreprise publique. Aujourd’hui, les permis sont portés par des sociétés privées, souvent étrangères, sans ancrage local ni contrôle citoyen.

Ces projets posent donc une question fondamentale : à qui appartiennent les ressources minières ? Qui décide de leur usage, de leur préservation ou de leur mise en exploitation ? Cela implique une réflexion sur l’appropriation collective, démocratique et territoriale de ces ressources.

Nous devons imaginer des entreprises écosocialistes, dont l’objectif ne serait plus la rentabilité immédiate, mais la satisfaction des besoins réels, dans le respect des limites écologiques. Cela suppose un recyclage strict, une extraction limitée et modérée, et une production pensée selon des critères sociaux et environnementaux, et non financiers. C’est à ces conditions que la transition énergétique peut devenir une transition juste, au service des habitant·es, et non contre les écosystèmes.

Quelles alternatives au lithium ?

Face à l’urgence écologique, il ne suffit pas de chercher des métaux de substitution. Nous devons réduire notre dépendance structurelle au lithium, en transformant profondément nos usages, nos infrastructures et notre vision du progrès. Cela passe par :

  • la sobriété énergétique et matérielle,
  • une refonte de nos mobilités (moins de voitures individuelles, plus de transports collectifs, de mobilités douces),
  • et une reconstruction de notre réseau de production et de stockage d’électricité.

Il faut aussi diversifier les solutions technologiques, au lieu de tout miser sur les batteries au lithium.

Parmi les alternatives déjà disponibles, les batteries au sodium sont aujourd’hui la seule filière réellement industrialisable. Le sodium est abondant, bon marché, disponible localement, et son extraction a un impact environnemental bien plus faible que celle du lithium. Ces batteries, bien qu’un peu moins denses en énergie, sont déjà produites en Chine et en Europe, et conviennent parfaitement au stockage stationnaire ou à la mobilité légère.

Les batteries au soufre ou au magnésium, souvent évoquées, sont encore à l’état de prototype ou de recherche. Les premières nécessitent toujours du lithium et fonctionnent à haute température, les secondes dépendent d’infrastructures à venir, souvent dans des pays où les normes environnementales sont faibles voire inexistantes.

Mais il faut aller plus loin : toutes les solutions ne passent pas nécessairement par les batteries. Il existe des systèmes de stockage d’énergie sans métaux critiques, comme les Stations de Transfert d’Énergie par Pompage (STEP). Ces installations permettent de stocker l’électricité sous forme d’eau pompée dans un réservoir en hauteur, puis turbinée à la demande. Certaines expériences de STEP marines sont également en cours, exploitant le dénivelé entre la mer et des bassins en falaise pour créer un stockage sans batterie.

De plus, la filière hydrogène, si elle est issue d’une production renouvelable et bien encadrée, peut contribuer à soulager la pression sur le lithium, notamment pour le stockage à long terme ou certains usages industriels et logistiques.

Enfin, il est temps de refuser que le coût écologique de la transition énergétique soit payé par les écosystèmes les plus fragiles – qu’ils soient dans les Andes, en Afrique australe ou dans les zones rurales et forestières du sud de la France. Sans planification écologique, sans débat démocratique, sans justice territoriale, la transition risque de reproduire les logiques extractivistes du passé sous des habits verts.

Quelle transition voulons-nous ?

Parler de « transition écologique » tout en ouvrant de nouvelles mines, sans débat public, sans stratégie de sobriété ni contrôle citoyen, c’est reconduire les logiques d’exploitation et de prédation qui ont conduit à la crise climatique. Cela nous oblige à poser la question : quelle transition voulons-nous ? Pour qui ? À quel prix ? Et sous quel contrôle démocratique ?

Nous devons refuser une transition qui serait écocide au nom de l’écologie. Il est temps d’informer, débattre et décider collectivement, car ces projets engagent nos territoires pour des décennies. Et peut-être, comme l’hippocampe emblématique de nos lagunes héraultaises, apprendre à ralentir et observer, avant de replonger dans une fuite en avant extractiviste.

  1. https://www.monde-diplomatique.fr/2025/02/GUILLEN/68043

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