Fin janvier-début février, la direction du groupe Latécoère a annoncé aux représentants du personnel un projet de réorganisation de son activité, induisant le transfert de la production de son usine de Toulouse-Montredon vers ses sites de Tchéquie et du Mexique, et celui de l’usine, voisine, de Labège, vers celui de Tunisie, soit la destruction de près de 150 emplois.
Le chiffre pourrait paraître modeste, pour un groupe de 4800 personnes, et cette annonce d’une banalité affligeante dans notre économie mondialisée. Pourtant, elle est importante et politiquement emblématique à bien des égards.
D’abord, au regard de la personnalité de l’entreprise en question. Il s’agit d’un acteur historique de l’industrie aéronautique toulousaine, vieux de 105 ans, et qui, s’il ne fabrique plus d’avions entiers depuis longtemps, reste un sous-traitant de premier plan des grands constructeurs, comme Airbus, Dassault, Boeing, Embraer… Ceux-ci, d’ailleurs, n’hésitent pas à lui confier la fabrication de sous-ensembles de haute technologie, vu son savoir-faire. Latécoère est d’ailleurs, pendant longtemps, resté dans le sillage d’Airbus, tant sur le plan industriel que social. Néanmoins, l’entreprise a, de façon récurrente, des problèmes de fonds propres et de trésorerie. Elle a cru les résoudre en faisant d’abord l’objet d’une reprise par les salariés, puis en passant sous le contrôle de fonds d’investissements et autres fonds vautours anglo-saxons : Apollo et Monarch en 2014, Searchlight en 2019.
Mais, avec ce changement d’actionnaires de référence, opéré avec la bénédiction de Bercy, alors dirigé par E. Macron, Latécoère est entré de plain-pied dans la financiarisation de l’industrie, qui a ses priorités propres : cracher rapidement du dividende pour les investisseurs, sans tenir compte de la temporalité longue, propre à cette industrie, et quels que soient les moyens employés : 1° grand plan de licenciements en 2015, multiplication d’établissements dans les pays à faible coût de main d’œuvre et/ou en zone dollar, et quelles qu’en soient les conséquences sur le tissu économique toulousain et la souveraineté industrielle et de défense du pays (la production délocalisée en Tunisie est destinée à l’équipement de l’avion militaire A 400 M). La conception de l’usine de Toulouse – Montredon a, d’ailleurs, en son temps, interrogé les syndicats : présentée comme une « usine du futur », mais ne produisant que des pièces élémentaires avec des machines ultra-automatisées, elle se plaçait d’emblée en situation délicate de concurrence directe avec les sites des pays à bas coût du groupe sans apporter le « plus » d’innovation qui aurait été porteur d’avenir.
On ne peut, aussi, ne pas évoquer, dans cette évolution, la part de responsabilité des grands donneurs d’ordre, comme Airbus, qui pressurent de manière constante leurs sous-traitants, en particulier sur leurs coûts, les conduisant à privilégier les délocalisations de production.
Affaire emblématique, ensuite, de la propension des pouvoirs publics à combler les grandes entreprises, sans garantie aucune du bon usage de ces aides, tant au plan de l’emploi que de la souveraineté industrielle, et de celle de ces entreprises à faire des bras d’honneur à leurs bienfaiteurs publics.
En effet, pour construire l’usine, inaugurée en 2018, dont elle annonce aujourd’hui la délocalisation de la production, la société Latécoère a bénéficié d’une pluie d’aides publiques :
– d’abord la cession du terrain, situé en lisière de la ville, à prix cassé, par la municipalité de Toulouse (1,1 M€),
– Ensuite, 5,4 M € d’aides de l’Etat, dans le cadre du plan « Usine du futur »
- 55 M€ de la Banque Européenne d’Investissement
- 786 000 € (certains disent 1,7 M€) de fonds européens, via la Région Occitanie, pour des projets de R&T (recherche et technologie).
Sans compter 40 M€ d’aides publiques, dont le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et le CIR (crédit impôt recherche) entre 2013 et 2016, puis les Prêts garantis par l’Etat de 60 M€ en 2020 (crise Covid) et de 130 M€ en 2021 (pour la recapitalisation de l’entreprise).
Hélas, cette générosité publique n’a pas été de nature à rendre l’entreprise respectueuse de la main qui l’a nourrie. Ainsi, dès 2018, Latécoère a revendu le terrain à un pool bancaire qui le lui a aussitôt reloué. Au Conseil de Toulouse Métropole de Février, les élus du groupe d’opposition AMC, Alternative pour une Métropole Citoyenne (issu essentiellement de la liste Archipel Citoyen), ont mis en exergue cette revente et ont interpellé Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de la Métropole, sur le fait que la municipalité n’avait alors pas activé la clause de l’acte de cession lui permettant de faire valoir un droit de priorité en cas de revente du terrain. Le maire s’est défendu en évoquant une opération classique de « lease back ». Il n’en reste pas moins que la ville apparaît comme le dindon de la farce et qu’un mystère subsiste sur un différentiel de 2,6 M€ entre le prix annoncé de l’opération et la somme finalement versée.
Mais tout cela n’émeut pas beaucoup les pouvoirs publics. Ainsi, l’Etat n’a réagi qu’en concédant une réunion en visio le 23 Février entre les représentants des salariés et le cabinet du ministre de l’industrie, bien que ce dernier ait déclaré que « l’entreprise a un devoir social vis-à-vis des salariés et du territoire ». la présidente de la Région, Carole Delga, qui n’a cessé dans le passé de soutenir sans condition Latécoère, s’est déclarée « en total désaccord » avec la stratégie industrielle du groupe et a assuré les salariés de son total soutien, mais n’envisage pas de réclamer le remboursement des aides européennes qu’elle a dispensées. Quant à J-L. Moudenc, il a annoncé vouloir rencontrer les responsables du groupe « pour échanger sur les contours exacts de cette décision de stratégie industrielle et avoir des réponses claires et engageantes ». Pas de quoi faire trembler le groupe de la rue de Périole ! D’ailleurs, lorsque les élus d’opposition du groupe AMC ont présenté au vote du Conseil métropolitain un vœu pour le soutien aux salariés de Latécoère, il en a refusé le 3° axe, qui prévoyait, en cas de suppression de postes, de demander à l’entreprise le remboursement des subventions publiques touchées pour l’implantation des sites de Labège et de Toulouse – Montredon, la restitution des terrains à prix coûtant, ainsi que les bénéfices issus des ventes de foncier qui avaient été acquis auprès de la mairie de Toulouse.
Localement, le soutien et la solidarité s’organisent autour des salariés de Latécoère. Le 15 Février, ceux-ci sont allés au siège du groupe, sur le site historique de la rue de Périole à Toulouse, pour demander des comptes à leur direction. Les différentes composantes de la NUPES étaient là pour les soutenir, ainsi que la Coordination CGT de l’aéronautique, qui regroupe les syndicats d’Airbus et de ses sous-traitants.
Comme le groupe d’opposition AMC l’avait fait dans sa proposition de vœu, les élus métropolitains écologistes ont produit un communiqué demandant que Latécoère restitue aux pouvoirs publics les sommes dont elle a bénéficié de manière indue. Les élus LFI (députés et conseillers municipaux et métropolitains) étaient, le 15, rue de Périole, et ont demandé solennellement dans un communiqué, que l’activité de production sur le site de Montredon soit pérennisée et les emplois garantis, sans baisse de salaire, et que le gouvernement prenne aussi ses responsabilités pour sauver ce fleuron industriel. Comment ? Qu’il agisse pour le maintien forcé de l’activité de Latécoère en Haute Garonne ou qu’il procède à une nationalisation temporaire.
La bataille contre la délocalisation ne fait que commencer : la NUPES locale, la France Insoumise et, en son sein, la GES, y prennent toute leur place.
Dominique Maréchau, le 2 mars 2023.