Après 57 années d’occupation accompagnée d’humiliations, d’expulsions de leurs maisons et de leurs terres, d’emprisonnements arbitraires, de meurtres multiples, d’implantation de colonies, et d’échecs de différentes actions pacifiques, on peut comprendre que de nombreux Palestinien.nes refusent de condamner l’action du Hamas du 7 octobre en la considérant comme un acte légitime de résistance à la colonisation et au terrorisme d’état d’Israël. On peut aussi comprendre qu’après les 1 200 meurtres, les viols, les violences sexuelles et l’enlèvement de près de 200 otages dont une majorité de civil.es, de nombreux Israélien.nes soutiennent les actions meurtrières de l’armée en les considérant comme une réponse légitime aux actions du Hamas. Toutefois, nous condamnons tous ces actes terroristes.
Ce n’est pas parce que juives et juifs que nous condamnons les actes terroristes et les crimes de guerre que constituent les meurtres, les viols, les violences sexuelles et les enlèvements de civil.es perpétrés par des commandos du Hamas. Ce n’est pas bien que juives et juifs que nous condamnons les actes terroristes et crimes de guerre que sont les bombardements, destructions et massacres massifs, en très grande majorité de femmes et d’enfants, commis par l’armée israélienne et les colons à Gaza et en Cisjordanie depuis plus de 3 mois. C’est parce que nous sommes attaché.es à la dignité de toute personne humaine que nous les réprouvons sans considérer que les Palestiniens ou les Israéliens seraient criminels ou terroristes par nature.
Cette condamnation n’est pas sans liens avec notre judéité, une composante parmi d’autres de nos identités multiples, un héritage familial qui rattache certain.es des signataires à l’histoire du génocide des juifs d’Europe. Une grande partie des familles de celles et ceux d’entre nous qui sont originaires d’Europe centrale et orientale a été assassinée par les nazis et leurs collaborateurs locaux au cours de l’Holocauste. Certain.es d’entre nous, de nos parents et de nos grands-parents ont survécu à la chasse aux juifs menée par la Gestapo et la police de Vichy. Refusant d’obéir aux injonctions à se déclarer juifs et à porter l’étoile jaune, ils ont choisi de résister, de se cacher et de cacher leurs enfants. Beaucoup parmi eux ont échappé à la mort grâce à la solidarité et à la désobéissance civile de Français non-juifs qui les ont cachés au péril de leur propre vie, sans demander qui ils étaient, ni d’où ils venaient.
C’est aussi au nom de ce passé que nous affirmons qu’il est illégitime et ignoble de justifier le massacre de dizaines de milliers de civil.es Gazaouis et Cisjordaniens au nom du génocide des juifs d’Europe, auquel le peuple Palestinien n’a en rien participé. Avec beaucoup de juives et de juifs à travers le monde, y compris en Israël, nous dénions au gouvernement Netanyahou et à ses soutiens le droit, en se prévalant de la Shoah, d’agir à Gaza et en Cisjordanie en notre nom et en celui de nos ancêtres.
Pour autant, comprendre ce que ressentent les deux peuples, ce n’est ni excuser, ni justifier les crimes de guerre. Rien n’excuse ni ne justifie le choix du Hamas de cibler délibérément des civil.es. Si nous soutenons le peuple palestinien quand il revendique, y compris par la lutte armée contre l’armée israélienne ou les colons armés, ses droits nationaux face à Israël, et auparavant contre le colonisateur britannique, cette juste fin ne légitime pas tous les moyens. L’Histoire montre que ceux qui se livrent à de tels actes dans leur combat pour l’indépendance en arrivent ensuite à les reproduire contre leur propre peuple.
Rien ne peut davantage excuser ni justifier le traitement par Israël des Palestiniens comme des « animaux humains ». Rien ne peut justifier la destruction de maisons, d’hôpitaux, d’écoles, de routes, de quartiers voire de villes entières, la privation de nourriture, d’eau et de soins, les déplacements forcés, ni les assassinats en masse. Rien ne peut justifier les encouragements et soutiens aux colons armés qui exproprient et tirent à vue sur des Palestiniens de Cisjordanie.
Rien ne justifie ou n’excuse l’antisémitisme, le racisme anti-arabe, l’apartheid. On ne peut ni justifier, ni excuser la négation de l’existence et des droits des peuples palestinien et israélien. La haine sans cesse alimentée, le fondamentalisme religieux et le recours au terrorisme que partagent les dirigeants du Hamas et les dirigeants israéliens actuels ne peuvent qu’engendrer la guerre sans cesse recommencée. En transformant leur « Terre sainte » en charnier, ils se renforcent réciproquement. Ils empêchent toute solution politique, la seule issue, même si sa forme est difficile à prévoir, pour que ces peuples puissent un jour vivre en paix, à égalité de dignité et de droit. La recherche d’une paix juste et durable est la seule alternative à l’épuration ethnique à laquelle aspirent les fous de Dieu des deux camps.
Nous sommes solidaires des familles des otages israélien.nes comme des familles des prisonniers palestinien.nes, solidaires de celles et ceux qui, en Israël, combattent la sale guerre en cours, et solidaires de celles et ceux qui subissent les massacres à Gaza et en Cisjordanie. Comme des millions de personnes à travers le monde, nous exigeons un cessez-le-feu immédiat et durable, ainsi que la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens.
Nous appelons le gouvernement français à oeuvrer, notamment au sein des instances internationales, au cessez-le-feu immédiat et durable.
Paris, le 17 janvier 2024
Signataires
Karen Akoka, maîtresse de conférences en science politique, Nanterre université
Isabelle Avran, journaliste et militante associative
Abraham Béhar, professeur honoraire des Hôpitaux
Raymond Benhaïm, économiste
Myriam Bercovici, architecte
Harry Bernas, physicien
Sophie Bessis, historienne
Edgar Blaustein, militant associatif
Samuel Blaustein, étudiant
Rony Brauman, ex-président de Médecins sans frontières
Laurent Cadreils Miednik, militant syndical
Mireille Cukier-Jakubowicz
Alain Cyroulnik, syndicaliste FSU
Laura Cyroulnik, éducatrice spécialisée
Philippe Cyroulnik, critique d’art
Régine Dhoquois-Cohen, juriste, militante associative
Patrick Farbiaz, militant écologiste (PEPS)
Laura Fedida, militante antiraciste
Jacqueline Feldman, retraitée CNRS
Bernard Frederick, journaliste honoraire
Dominique Glaymann, professeur émérite en sociologie
Renée-Claire Glichtzman, militante associative
Betty Goldberg artiste plasticienne
Armand Gorintin, militant de l’Union juive française pour la paix
Jean-Jacques Grunspan, entrepreneur et industriel
Janette Habel, universitaire, politologue
Arthur Harari, réalisateur
Suzanne d’Hermies, militante antiraciste
Samy Joshua, professeur émérite en sciences de l’éducation, université Aix Marseille
Pierre Khalfa, économiste, Fondation Copernic
Michèle Krum, directrice à la protection judiciaire de la jeunesse retraitée
Daniel Kupferstein, réalisateur
Ginette Lavigne, réalisatrice
Nicole Lefeuvre, militante associative
Alain Lipietz, économiste, ancien député européen Vert
Danièle Lochak, universitaire
François Longerinas, militant du mouvement coopératif
Sarah MacKenzie Peers
Antoine Malamoud, militant Gauche Écosocialiste
Henri Maler, maître de conférences en science politique
Gustave Massiah, économiste
Fabienne Messica, militante de la Ligue des droits de l’homme
Monique Michaëlis, retraitée
Jean-Philippe Milesy, militant associatif
Marie José Mondzain, philosophe
Véronique Nahoum-Grappe, chercheure en sciences sociales Paris
Annie Ohayon, réalisatrice
Jean-François Pessis, militant associatif
Francis Piazza, retraité de l’éducation nationale
Sarite Rosen Munari, artiste plasticienne
Françoise Rossetti, militante associative
Catherine Samary, altermondialiste
Abraham Ségal, cinéaste
Adam Shatz, écrivain, London Review of Books
Claude Szatan, militant associatif
Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme
Pascale Thomas, auteure
Josette Trat
Dominique Vidal, journaliste et historien
Pierre Zaoui, maître de conférences en philosophie à Paris Cité
Agnès Zissmann, militante associative